Je pourrais faire le bilan de cette année passée. Sauf que je crains de plomber rapidement l'ambiance, au risque même d'accentuer
le nombre de suicides qui ne cesse de croitre dans l'indifférence totale de notre entreprise. Et j'ai assez d'estime pour vous pour ne pas vous plonger directement dans la noirceur du quotidien.
Surtout que, si l'on regarde bien la situation actuelle, nous avons encore de la marge en comparaison avec l'ouvrier chinois dont les conditions de travail peuvent être comparées à celles des
ouvriers européens du 19ème siècle, à l'époque des révolutions industrielles. On peut donc être optimiste et se dire que la régression ne fait que commencer et que nous avons la chance de nous
trouver au tout début de ce retour en arrière.
Oui, il faut savoir PO SI TI VER !!!
Mais force est de constater que nous y venons peu à peu. Ce n'est plus la rigueur allemande qui fait fantasmer nos supérieurs mais
la rigueur chinoise !
Tenez par exemple, pas plus tard qu'avant-hier, je suis arrivé une minute avant la prise de service. Jusque là rien d'anormal, sauf
que j'ai essuyé une petite réflexion de la part de mon encadrant. Bah oui, j'ai failli être en retard ! C'est ça la rigueur chinoise !!!
Tous mes collègues étaient déjà là depuis 5 bonnes minutes, certains mêmes depuis une bonne demi-heure, pendant que de mon côté je
me suis permis d'arriver pile à l'heure. Un scandale ! Je pénètre donc dans la salle lorsque mon encadrant me dit sur un ton ferme, tout en me
serrant la main : "Allez ! Dépêche-toi, nous t'attendons!". Nous t'attendons ? Mais qui? Où? Comment ? Je suis à l'heure bordel !
C'est comme cet agent, lors des fameuses « 3 mn Com », à qui l'on demande avec fermeté de sortir ses mains des poches et
de se tenir droit, presque au garde-à-vous, face à l'encadrant. Mais où sommes-nous !?
Pour ma part, je n'ai pas riposté. Je laisse toujours une chance à mes adversaires. (…) Si les mécontents se comptent par dizaines,
au final très peu osent contester l'ordre établi. On se frotte au loup une fois, deux fois... puis on finit par se dire qu'il serait plus prudent de
rejoindre les moutons de Panurge. Pendant ce temps, en face, les loups et les renards imposent leur griffe et mettent en place « Présencéo », un projet ayant pour but de dresser les
encadrants contre le personnel, un peu comme on dresse un pitbull ou un rottweiler, afin qu'ils convoquent l'agent à son retour de maladie pour un entretien dont le seul et unique but est de
mettre encore plus de pression. Essayer d'éradiquer les congés maladie en exerçant encore plus de pression, en instaurant un climat de peur. C'est assez primaire comme projet mais il ne fallait
pas s'attendre à mieux de leur part. Ça peut fonctionner à court terme mais on peut s'interroger sur le moyen et long terme. Nous pourrions faire le
décompte des nombreuses maladies qui ont pour cause le stress. Ils n'ont même pas conscience que c'est l'effet inverse qui est en train de se produire et que les maladies se multiplieront avec le
temps et ce malgré la complicité de certains médecins de plus en plus réticents lorsqu'il s'agit de délivrer un arrêt de travail.
Alors voilà ! Présencéo a fait son apparition (…), pour la plus grande joie des postiers. Désormais, à votre retour de congés
maladie vous aurez droit à un entretien dans le bureau de votre encadrant, en toute intimité comme pour mieux vous tirer les vers du nez. Et là on vous demandera clairement les raisons de votre
absence. Officiellement vous n'êtes pas obligé de divulguer des informations sur votre état de santé, mais tout cela n'est que de la théorie. Lorsque vous êtes face à votre encadrant, eh bien
vous lâchez le morceau ! Et voilà comment on s'immicie dans votre vie «à l'insu de votre plein gré». L'encadrant se chargera de vous mettre une certaine pression en vous expliquant que votre
absence nuit à l'entreprise. Il aura également dans ses mains une feuille où seront mentionnées vos absences durant l'année écoulée, ainsi que la date des congés que vous avez demandés et qui
vous ont été refusés, histoire de voir si les dates coïncident et si vous avez feint la maladie. La suspicion est de mise !
Et pour ne pas s'arrêter en si bon chemin, votre encadrant vous appellera chez vous à chaque fois que vous serez malade, au moment
de la prise de service. On croit rêver... ou plutôt « cauchemarder ». Et le respect de notre vie privée ? Ils en font quoi ?
(…) Et que dire de l'appréciation qui sera plus sévère. On nous l'a annoncé. Les «excellent» baisseront d'un niveau pour devenir simplement « bon », excepté pour les agents
exceptionnels, entendez par là ceux qui respectent certains critères : malléable à souhaits, faisant-fonction, bouche-trou, amateur d'heures sup, non gréviste, respectueux des règles de
vie, apprécié des encadrants, propre sur soi et avec les accessoires qui sonnent bien tels que la ceinture et la gourde, par exemple. Un bon scout quoi !!! !
Mais il y a pire. Et cela concerne les grévistes assidus, ou les agents souvent malades. Mais bien sûr ce ne sont pas ces raisons
qui seront évoquées lors de l'entretien. On vous parlera boulot, cadence, alors que la cadence ce sont parfois les machines qui l'imposent, et tout le monde joue le jeu. Pourtant certains verront
leur appréciation atteindre la note A (juste en dessous de B) et les conséquences seront pécuniaires : deux années successives noté A et ce sont les primes qui sautent ! Sans parler du niveau D
qui sucre les primes dès la première année. Certes, ce ne sont pas des sommes astronomiques, 300 € deux fois par an... mais lorsque la part du gâteau est mince, les miettes prennent soudain une
tout autre importance.
Pour l'heure, des bruits courent et les premières victimes se font connaitre, un peu désemparées, avec ce sentiment d'injustice que
l'on devine. Ponctionner des salariés qui gagnent déjà une misère, est-ce humain comme démarche ? Quels sont les bénéfices de notre entreprise ? Honte à eux !!!
Et il y aura certainement aussi des "D". Nous en sommes qu'au début des notations, nous en saurons d'avantage dans les prochaines
semaines...
Voilà où nous en sommes. Sachant pertinemment que l'on ne pourra rien changer, en tout cas pas dans l'immédiat, j'essaie de faire
abstraction de tout ça. Je suis en Pic et sur ma MTI GF où chacun de mes gestes se fait de façon automatique et où mon cerveau ne me sert à rien, j'essaie de me déconnecter de la réalité et de
rêvasser un peu même si depuis qu'il nous est demandé de passer le manuel sur les GF, les bourrages sont plus fréquents. C'est autant de coupures à mes rêves.
Faut dire aussi que l'on nous avait présenté la MTI GF comme la moins farouche des « belle-de-nuit », des courtisanes. « Elle avale tout ! » qu'ils disaient... Dans mon
imagination je la voyais un peu comme ces allemandes au physique de bûcheron, avec du poil aux jambes et au menton mais que la couleur blond platine dissimule aux premiers abords. Une
«marie-couche-toi-là » que j'aurais bien vu se prénommer Herta ou Berta, pas tellement propre sur elle, pas très belle non plus mais vaillante, peu exigeante et très gourmande; à qui on
aurait pu faire la totale tant elle aurait tout accepté : les grosses, les petites, les tordues, les farfelues, deux à la fois, trois ? Pourquoi pas... bref ! Au lieu de cela, c'est une
américaine qui a débarqué. Une vraie de vraie, venue tout droit de l'Amérique profonde et puritaine, et qui passe son temps à défendre la pratique de l'abstinence, jouant ainsi les vierges
effarouchées au moindre calibre hors norme que nous tentons de lui faire avaler, coûte que coûte, même sans son consentement. Résultats : Des bourrages à répétition et une fatigue certaine pour
nous, postiers, qui avons le sentiment de forcer la main à une créature qui est bien trop sensible pour accepter du tout-venant. Ainsi soit-il.