Philippe Wahl, qui vient d’être officiellement nommé nouveau président de La Poste en remplacement de Jean-Paul Bailly, va trouver sur son bureau, en prenant ses fonctions, une lettre qui va très directement le confronter aux effets concrets de la souffrance au travail qu’endurent depuis de longues années des salariés du groupe.
Pour mieux appréhender la portée de ce courrier, il faut remonter à la disparition, le 25 février dernier, d’un cadre de la direction de la communication de l’entreprise, Nicolas Choffel, qui, victime d’un burn out, a mis fin à ses jours après un arrêt maladie de plusieurs semaines - durant lequel il a continué de subir un terrible stress: « continuellement sollicité par La Poste», il recevait par exemple «plusieurs dizaines de mails urgents à traiter chaque jour», explique sa veuve, Ilma Choffel de Witte. « Le jour de son décès, il avait reçu plus de cinquante mails sur son Smartphone de fonction.»
Le cas n’est malheureusement pas unique: de tels drames endeuillent régulièrement La Poste, où une «cellule de veille attachée à la direction» (1) aurait, selon le syndicat SUD PTT, dénombré, depuis 2008, 200 suicides en relation «avec l’activité professionnelle».
Mais le décès de Nicolas Choffel, qui était l’un des plus hauts cadres du groupe, prend un relief particulier, car il intervient après la fin d’un «Grand Dialogue» au terme duquel la direction du groupe avait notamment assuré qu’elle se montrerait plus à l’écoute des salariés – et met en évidence qu’en dépit de cet engagement, les suicides continuent (2).
Comble de délicatesse : le 28 février, le président de La Poste, Jean-Paul Bailly, déclare, lors d’un conseil d’administration, selon des syndicalistes présents à cette réunion, que de tels drames sont « personnels et familiaux », et que « la dimension du travail » y est « inexistante » (3) – la direction du groupe, consciente, peut-être, de leur âpreté, précisera ensuite que ces propos ne s’appliquaient pas à Nicolas Choffel.
Or, d’après le rapport d’expertise d’un cabinet indépendant mandaté par le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) dont le contenu a récemment été révélé par Le Parisien, «l'état de santé d'une partie du personnel » du service dans lequel travaillait le défunt «apparaît comme préoccupant voire inquiétant sur les derniers mois»: deux salariés ont même «eu des idées suicidaires en lien avec leur souffrance au travail».
Et c’est pour leur demander de bien vouloir lui «transmettre officiellement copie de ce rapport» qu’Ilma Choffel de Witte a fait, le 22 septembre, une lettre au président de La Poste et aux élus du CHSCT.
«En effet», leur écrit-elle: «Outre la recherche de tous les éléments constitutifs de la réalité des faits concernant le drame qui est survenu, je suis animée par la volonté de mener un combat sur la question du burn out au travail et ses conséquences.»
Elle précise ensuite qu’elle a obtenu du ministère du Travail la mise en place d’«un groupe de travail sur la question du burn out et sa reconnaissance», et que «il est évident que le rapport d’expertise Cateis constituerait un apport important» pour ses travaux.
Puis d’expliquer: «En outre, et c’est peut-être l’essentiel, le fait d’accéder favorablement à ma requête manifesterait à mes yeux non seulement une prise de conscience de l’existence du burn out au sein du Groupe La Poste mais aussi un geste de bonne volonté en mémoire de mon mari bien aimé Nicolas Choffel.»
Un tel geste serait de surcroît un signal fort en direction des salariés de La Poste – qui sont nombreux à avoir le sentiment que leur souffrance au travail n’a pas été, sous le règne de Jean-Paul Bailly, suffisamment prises en compte: il serait perçu comme la reconnaissance de la réalité de leur mal-être.
Pour Philippe Wahl, qui a déclaré le 17 septembre, devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, qu’il était, dans ces matières, mu par la «volonté» d’assurer pour ces salariés de bonnes conditions de travail, cela ferait un bon début.
Source : http://www.bakchich.info/societe/2013/09/26/
(1) Qui conteste cette affirmation.
(2) Plusieurs autres salariés se sont suicidés après la fin de cette «phase d’écoute et de dialogue».
(3) Ilma Choffel a reçu, après la disparition de son mari, une lettre de condoléances de Jean-Paul Bailly. Elle a découvert, en la lisant, que son prénom n’était pas correctement orthographié : le président de La Poste l’appelait «Ilda»…