La réforme des retraites qui se prépare pourrait remettre en cause l’ensemble de notre système de retraites et ses régimes, collectifs, solidaires, dans lequel les organisations syndicales ont joué tout leur rôle, depuis le début, depuis la conquête de droits nouveaux jusqu’à la gestion responsable des garanties et des pensions.
Cette réforme vise à créer un régime universel pour tous. Tous seront concernés, salariés du public et du privé, salariés des régimes spéciaux, comme indépendants et agriculteurs
La réforme a d’abord été présentée comme essentiellement destinée à simplifier un système qui serait devenu trop complexe. On nous l’a présentée comme étant à coût constant sans objectif de nouvelles économies. La promesse était aussi de ne pas toucher à l’âge légal, ni celles et ceux qui sont susceptibles de partir en retraite sur les cinq années à venir.
Ce serait aussi une réforme pour plus d’équité : « un euro cotisé donnant à chacun les mêmes droits ».
Il s’agissait de s’attirer les bonnes grâces de l’opinion publique et de celles et ceux qui veulent bien croire aux promesses…
A cela s’ajoute le catastrophisme entretenu sur le financement des régimes de retraite et la série sans fin de réformes (pour des systèmes prétendument impossibles à réformer !) destiné à convaincre les français, notamment les plus jeunes mais pas seulement, qu’ils n’auraient pas de retraite.
Dès le début, la confédération a expliqué en quoi le principe même d’un régime universel par points comportait des dangers et les raisons donc pour lesquelles FO s’y opposait.
FO a toujours assumé ses responsabilités et est reconnue comme telle. C’est un militant FO qui préside encore aujourd’hui la CNAV (Caisse nationale d’assurance vieillesse). Le secrétaire confédéral en charge des retraites a longtemps présidé en alternance avec le patronat les régimes AGIRC ARRCO complémentaires du privé. Et nous avons pris encore nos responsabilités quand nous avons quitté la présidence de l’AGIRC ARRCO protestant et dénonçant le système de bonus/malus instauré en 2015. Nous avons refusé de signer cet accord et nous appelons à l’abandon de ce dispositif.
Nous pouvons être fiers de ce que nous avons conquis et bâti et de notre action constante pour le droit et l’amélioration des droits à la retraite.
A l’argument consistant à nous dire que la France est parmi les pays consacrant la plus grande part de PIB aux retraites (environ 14%), nous pouvons opposer que cela est aussi ce qui permet d’assurer une retraite dans des conditions plus favorables que dans bon nombre de pays que ce soit en termes d’âge de départ ou de niveau de vie des retraités. Le Premier ministre l’a lui-même souligné dans son récent discours de politique générale. Mais contrairement à lui, nous ne considérons pas que cela soit critiquable ? Que notre système soit plus solidaire et plus redistributif que d’autres n’est, de notre point de vue, pas un handicap, mais surtout le signe d’un système qui fonctionne bien.
Quant à l’équilibre financier des régimes, il dépend avant tout du niveau de l’emploi. On sait que de l’ordre de 50% des salariés qui liquident leur retraite ne sont déjà plus en activité ! Les régimes de retraites ne pourront pas corriger le déficit d’emploi et d’emploi stable et correctement rémunéré sans affecter à la baisse les droits à pension de toutes et tous. C’est faire payer à la protection sociale l’échec en la matière des politiques économiques, que le Premier ministre a lui-même reconnu, constatant le maintien d’un chômage de masse et de la précarité.
Même s’il y a toujours des améliorations nécessaires, notamment en termes de pouvoir d’achat des pensions notamment les plus faibles, le système actuel garantit à ceux qui aujourd’hui travaillent une bonne visibilité sur leur retraite future. Ce ne sera plus le cas demain !
La réforme ne simplifierait rien du tout – elle apporterait de la complexité à tous les étages, tant pendant la période de transition d’un système à l’autre que pour tenir compte des situations particulières. Par exemple, si un euro cotisé donne les mêmes droits, comment ferait-on demain pour tenir compte de la pénibilité, des compensations liées aux services actifs (travail de nuit,
astreintes, …).
Mais elle rendrait le droit à la retraite incertain, soumis aux aléas des décisions budgétaires qui vont rarement dans le sens du progrès, en écartant les syndicats de leur responsabilité pour défendre les intérêts des salariés.
D’un système collectif solidaire à prestation définie (on sait ce que sera le niveau de sa pension) à un système où la pension dépendrait de la capacité individuelle de chacun d’acheter des points tout au long de sa vie active.
Quant à la promesse de ne pas toucher à l’âge, le leurre est désormais tombé : après l’idée d’un bonus incitatif à partir plus tard (dans un premier temps le Haut-commissaire, Jean Paul Delevoye avait évoqué 63 ans), on nous annonce un allongement de la durée d’activité ou/et un système supplémentaire de décote pour aller vers un âge de départ a minima à 64 ans !
C’est pourquoi FO – qui dès le départ a fait connaître systématiquement son opposition au principe même de la réforme annoncée – a quitté les concertations et annoncé son intention de mobiliser les salariés, y compris par la grève interprofessionnelle si nécessaire.
« Un système plus juste et équitable » nous dit-on ?
Un système plus juste qu’aujourd’hui ? Les régimes actuels tiennent compte de la diversité des situations, des métiers, des carrières, des conditions de travail.
Demain, tous sont logés à la même enseigne : le régime universel va balayer toutes les spécificités professionnelles, qu’elles soient du public ou du privé. Aujourd’hui, les carrières professionnelles ne s’effectuent plus au sein d’une seule et même entreprise. Souvent, elles ne se font pas sous le même statut. Mais elles cumulent fonction publique et salariat du privé, ou encore salariat du privé et travail indépendant.
Il va balayer la diversité des carrières, de plus en plus marquées par des interruptions, choisies ou non, par la précarité, par le chômage, les allers retours du public ou privé ou inversement, ou d’autres statuts…
Dans un régime intégralement en points, le calcul sur les 25 meilleures années se transforme en une moyenne faite des 25 meilleures et des 17 voire 18 mauvaises années.
Qui peut faire semblant de croire que le résultat serait meilleur ?
Immanquablement le taux de remplacement (qui mesure le montant de la première pension par rapport au dernier salaire) aujourd’hui de 75 % en moyenne va baisser et pourrait tomber jusqu’à 55% dans certains cas.
On nous promet aussi un système plus équitable, or aujourd’hui, les réformes successives conduisent déjà à aligner les durées d’activité des différents régimes. En 2023, il faudra 43 ans d’activité pour tous, public comme privé ou « spéciaux ». Pour FO, nous l’avons toujours dit et dénoncé, 62 ans c’est trop et 42, à fortiori 43 ans de cotisations c’est beaucoup, beaucoup, trop !
Le gouvernement nous dit qu’un euro cotisé donnera les mêmes droits. Mais ça ne sera pas le cas. On sait déjà que différentes professions continueront de cotiser différemment, et le Président de la République lui-même l’a évoqué dans sa conférence de presse du 25 avril au sujet des minima de pensions.
Dans un système par points, chacun obtient des points en fonction de sa capacité à cotiser tout au long de sa carrière. C’est un régime qui individualise les droits alors que les régimes actuels sont fondés sur des règles collectives.
Les régimes existants calculent des DROITS en fonction des cotisations versées, ces droits contributifs sont complétés par une solidarité qui permet par exemple de tenir compte de la maternité, du chômage ou de l’invalidité.
Cette solidarité peut être tracée, régime par régime, elle peut aussi s’exercer d’un régime à d’autres.
Si le projet de réforme aboutit, la solidarité serait plus difficile à constater, puisque « noyée » dans la masse.
Ce « mélange » permettrait à l’Etat employeur de casser le contrat social qu’il a avec ses agents, tout en laissant la charge financière à l’ensemble des travailleurs. Le code des pensions civiles et militaires est en effet étroitement lié au statut général de la Fonction publique.
Dans un système par points, il n’y a aucune garantie du montant de la pension. La seule certitude que peuvent avoir les cotisants, c’est le montant de la cotisation versée, même le nombre de points ne peut être anticipé, cela dépend du « prix d’achat » du point.
Le projet de réforme ne donnera pas cette valeur, le projet va se contenter de grandes lignes, la valeur de point ne sera connue qu’en 2024.
Dans ce système, à cotisations définies, il est impossible de garantir le niveau de la future pension.
Ce système prendra en compte le contexte économique, voire politique qui pourrait faire varier la valeur du point.
Le montant de la pension ne serait connu qu’au moment du départ en retraite, le système n’apporte aucune certitude sur le maintien du niveau des retraites. Il reviendra à chacun en fonction de la valeur du point, qui pourra varier d’une période à l’autre, de choisir entre le montant de la pension et son âge de départ, s’il est encore en activité !
Le régime universel, c’est donc la garantie d’une baisse des pensions et beaucoup d’incertitudes sur le montant futur de la pension.
Cette réforme n’apportera donc ni justice ni équité. Alors à quoi sert-elle ?
Le véritable objectif ? faire des économies dixit le ministre Darmanin.
« 14 points de PIB consacrés à la retraite, c'est une question de dépense publique a affirmé le ministre lors d’une audition parlementaire ». L’objectif de la réforme s’inscrit bien dans celui de la réduction du déficit public.
Faire des économies, voilà le leitmotiv ! Cette réforme des retraites va de pair avec la logique comptable qui motive les autres réformes, la remise en cause du statut général des fonctionnaires, par la loi sur la transformation de la fonction publique.
14 points de PIB consacrés à la retraite, est-ce trop ? C’est une question de priorités ! Financièrement, le système n’est pas menacé. Et la démographie va jouer son rôle, vers 2035, à la fin des effets du baby-boom, la progression des dépenses de pensions va se ralentir. Et avec la progression continue de la population, alors que d'ici à 2050 l'Allemagne devrait perdre près de 10 millions d'habitants, non compris les flux migratoires, la France devrait en gagner plus de 2 millions.
Il y aura donc des actifs pour financer les retraites, à condition qu’ils aient un emploi !
L’autre objectif ? Reporter encore l’âge de départ…
L’âge ne sera pas touché ? Le haut-commissaire à la réforme des retraites s’était engagé sur le maintien de l’âge légal à 62 ans.
Mais les déclarations de plusieurs responsables gouvernementaux, et pas des moindres, ont remis la question du report de l’âge de départ.
Le Président de la République lui-même a annoncé que l’âge d’équilibre se situait entre 63 et 64 ans. En termes de la vie de tous les jours cela veut dire qu’il faudra travailler deux ans de plus pour avoir sa retraite complète !
Sans parler que cette « retraite complète » sera moindre que le droit d’aujourd’hui !
Avant même cette réforme « systémique », le gouvernement envisage une deuxième réforme qui consisterait à accélérer les effets néfastes de la « réforme Touraine » de 2014.
Ce serait la triple peine à l’arrivée :
Cumuler la peine d’un régime unique en points qui prend en compte tous les accidents de la vie active, une durée de cotisation à 43 ans et un âge légal qui passerait à 64 ans. Et l’âge légal n’est pas le seul paramètre envisagé : Le président de la république a évoqué la possibilité d’accélérer le rythme d’augmentation de la durée de cotisation à 43 ans.
L’âge effectif est déjà au-delà de l’âge légal. Et ça va continuer, c’est la logique des réformes précédentes.
En outre, la moitié des salariés du privé ne sont plus sur le marché du travail au moment de liquider leur retraite, étant soit en invalidité, soit au chômage, ou assujettis à l’ASS. Pour eux, il n’y aura pas d’autre choix qu’une pension a minima, avec en plus un abattement, appelé décote.
L’autre objectif ? Etatiser et écarter les organisations syndicales
Bergeron avant d’être secrétaire général de FO, avait en charge la question des retraites. Faute de pouvoir obtenir grand-chose des pouvoirs publics, il avait fait le choix de la voie contractuelle pour créer des régimes complémentaires, afin de garantir, environ 20% de leur salaire aux retraités. En plus de ce qui était versé par la sécurité sociale.
Aujourd’hui, les salariés du privé cotisent à l’AGIRC ARRCO, caisse de retraite complémentaire gérée par les organisations syndicales et patronales et qui sert à payer les retraites complémentaires.
Demain, un système universel absorbera le régime complémentaire et ses réserves dans le budget de l’Etat qui aura toute latitude quant à son utilisation.