INFO : Dordogne - l'imprimerie du timbre face à la diminution des plis postaux
A Boulazac, l'abandon de la promotion du timbre par La Poste interpelle les salariés. Et ce mercredi, le groupe aura un nouveau PDG
C’est à Boulazac que La Poste imprime encore chaque année ses 3,5 milliards de timbres (Photo archives Arnaud Loth)
Malgré les « œuvres d’art » qu’ils racontent ici graver à tour de bras et de rotatives, les 450 derniers salariés de l’unique imprimerie française de timbres n’ont aucune envie de jouer aux gardiens de musée. « Hélas, la plupart des postiers ne savent même pas que nous existons encore », se désolait ce jeudi une poignée d’entre eux, à l’heure de la débauche, à Boulazac, dans la banlieue de Périgueux.
Symbole de la toute-puissance administrative et jacobine depuis que nos enveloppes ont eu l’obligation de l’afficher en 1849, la vignette verrait-elle ses jours de gloire comptés ? À l’avant-veille de la nomination à la tête de La Poste d’un nouveau PDG venu tout droit du secteur bancaire, c’est peu dire que le courrier papier semble, de saison en saison, froissé par les correspondances numériques.
Car, si les Français s’écrivent toujours autant, leurs échanges se dématérialisent chaque heure davantage. De mails privés en factures numérisées, 20 % de nos bonnes vieilles enveloppes sont ainsi passées à la corbeille depuis dix ans. Accélérée par la crise économique, la dégringolade atteint même désormais une baisse annuelle de 6 %, et sans doute d’un tiers d’ici à 2018. Qu’importe l’augmentation récurrente du prix de l’affranchissement, La Poste ne saura longtemps encaisser ce manque à gagner alors même que certains des 90 000 facteurs tournent parfois à vide.
3 milliards de Marianne
Au début comme au bout du bout de cette chaîne historique, l’usine de Boulazac donne pourtant encore le tournis industriel. 500 millions de timbres de collection et 3 milliards de Marianne y ont été imprimés l’an dernier. « Nous sommes capables d’en sortir plus de 2 millions en une heure », s’enorgueillit Marc, cadre supérieur de 48 ans. « Le problème, c’est que l’entreprise se tire une balle dans le pied en abandonnant la promotion du timbre. Allez le vérifier dans un bureau de poste, où il est aujourd’hui plus facile d’acheter un téléphone qu’un vrai timbre. Sans parler des enveloppes Prêt à poster et des vignettes autocollantes. Elles sont peut-être beaucoup moins chères à fabriquer, mais, si l’on vous disait à quel point elles sont falsifiables… »
Derrière ses hautes façades vitrées qui ne trahissent guère la forteresse sécurisée qu’est devenue l’usine Phil@poste, l’état-major ne semble d’ailleurs guère d’humeur à vanter les charmes du métier (1). Car, tandis que le site Internet du groupe propose déjà de « calculer l’impact carbone de votre prochain envoi », la transition numérique est pour beaucoup la seule stratégie capable de contrer le féroce appétit des concurrents privés.
Malgré sa présentation en fanfare républicaine, et même présidentielle, le 14 juillet dernier par François Hollande, la nouvelle Marianne pourrait ainsi n’être bientôt qu’un objet de collectionneurs. Avec moitié moins de salariés qu’il y a trente ans, les grognards de l’imprimerie de Boulazac sont aujourd’hui une petite goutte d’encre - pour certains anachronique - parmi les 270 000 collaborateurs de La Poste, tandis que, déjà, le découpage des carnets de timbres est sous-traité en Roumanie. « C’est d’autant plus dommage qu’il y a encore beaucoup d’argent à se faire », râle Marc, responsable qualité. « D’autres, comme les Tchèques, avec un savoir-faire moins reconnu, l’ont d’ailleurs bien compris, et nous taillent des croupières lorsqu’il s’agit de gagner des marchés à l’international. Malheureusement, notre budget consacré à la recherche et au développement est devenu minuscule. »
Comme le disque vinyle ?
Illustrant mieux que quiconque la croisée des chemins postaux du XXIe siècle, Pierre n’apprécie guère plus de passer pour un dinosaure. Pourtant, à seulement 24 ans, le jeune homme est l’un des dix derniers artistes graveurs de timbres du pays. « Encore 200 nouveaux modèles chaque année, même si je passe, hélas, de plus en plus de temps derrière un écran d’ordinateur. »
Malgré un horizon professionnel qu’il avoue ne plus distinguer clairement, Pierre refuse la fatalité. « Que l’on ne nous fasse pas croire qu’Internet va tuer le courrier. Parce que moi, quand je commande un truc sur eBay, il y a bien quelqu’un qui me l’amène ensuite dans ma boîte aux lettres. Alors, par pitié, dites juste aux Français que, pour 63 centimes, ils peuvent s’offrir une petite œuvre d’art à coller sur leur enveloppe. Du made in France de A à Z. » Fier mais fébrile quand, à l’instar du disque vinyle, celui-ci promet un retour en grâce de la lettre timbrée de frais.
Tandis que son prédécesseur a dessiné les contours numériques du futur facteur multicartes, le nouveau PDG de La Poste ne saura de toute façon abandonner à son sort ce courrier qui représente encore la moitié du chiffre d’affaires de l’entreprise. Le fondement de La Poste entre trois chaises, à la fois patron de banque, de start-up et d’atelier d’artisans séculaire.
(1) Sollicitée, La Poste n’a pas donné suite à nos demandes d’interviews.
Source : http://www.sudouest.fr/2013/09/23/