Témoignage : Suicides à La Poste - moi aussi j'y ai pensé…

LE PLUS. Deux suicides de salariés en trois semaines. Si Jean-Paul Bailly, PDG de La Poste, doit faire face à ce triste bilan, Carine Beaufils, qui a travaillé plusieurs années pour ce groupe, fait face, elle, à ses souvenirs. Et ils ne sont pas plus plaisants.

Monsieur Bailly, président-directeur de La Poste,

A La Poste, j’ai été manutentionnaire, factrice, distributrice de PNA (pour "publicité non adressée"), guichetière et enfin conseiller financier. J’ai démissionné de votre belle entreprise pour ne plus jamais en entendre parler.

Cependant, un nouveau suicide vient me rappeler le temps où je préparais moi-même ma lettre d’adieux à mes proches afin d’en finir avec vos méthodes qui me rendaient la vie insupportable.

Un congé parental m’a rendu l’instinct de survie que votre management s’emploie à annihiler. Grâce à ce temps loin de vous, j’ai publié ma lettre de démission. Je l’ai fait à grande échelle, mais sans livrer votre nom. Avec ce qui me semblait être une certaine magnanimité, j’estimais qu’il n’était pas loyal de dénoncer l’entreprise qui m’avait assuré un salaire et donc une vie pendant tant d’années.

Mais qu’est-ce que la vie si elle se résume à pleurer le week-end en vue de reprendre le lundi ? Quand les congés se passent à appréhender la reprise et que le soir consiste à trembler nerveusement en pensant au lendemain ?

Côté banque ou côté courrier, les pressions sont les mêmes.

Les facteurs n’ont plus de tournée attitrée, les nouveaux et les CDD non formés sont catapultés dans des villes qu’ils ne connaissent pas, à la recherche de boîtes pour accueillir leur courrier, tandis que les anciens se voient rajouter des "partageables" qui alourdissent encore leur travail.

Les managers de vos conseillers financiers envoient des mails qui tordent le cou à l’éthique la plus rudimentaire.

Les guichetiers des bureaux de Poste ne sont plus que des machines à vendre qui comptabilisent les enveloppes timbrées écoulées et leur nombre de clients horaire.

Le flicage est permanent. Les N+1 de N+1 pas mieux lotis sont au bord du gouffre. On ne sait pas qui est l’ennemi. On sait juste qu’on est sur le même bateau, à ramer vers votre idéal de rentabilité, tandis que des N+20 convertissent nos coups de rame en camemberts Excel.

De manière fort opportune, la tuerie de Toulouse occultera ce nouveau suicide. Par ailleurs, nos syndicats politisés préfèreront se concentrer sur l’âge de la retraite ou sur des sittings devant des QG de campagne déserts.

C’est dommage parce qu’on en meurt.

Monsieur, je ne vous salue pas

Carine Beaufils Ex-banquière

Source : SÉLECTIONNÉ PAR LE NOUVELOBS