Le Conseil d’administration s’est réuni le 10 février 2011 pour examiner le dispositif d’augmentation du capital de La Poste
et aborder certaines de ses conséquences, notamment en matière de gouvernance. Sur ce dernier point, des interrogations et des incertitudes
demeurent. Il appartiendra aux futurs administrateurs désignés par la CDC d’y répondre et de les lever.
Rappel sur la valorisation de La Poste
La valeur initiale de La Poste ayant été fixée à 3 milliards d’euros (1 milliard de capital social + 2 milliards de
réserves), l’apport de 2,7 milliards portera donc les fonds propres à 5,7 milliards.
Cet apport se décompose en 450 millions d’actions de 6 euros chacune. Conformément à l’annonce faite par le président de la
République le 19 décembre 2008, la contribution de l’État s’élèvera à 1,2 milliard et celle de la CDC à 1,5 milliard. À l’issue du versement, l’État détiendra 73,68 % du capital et la CDC 26,32
%.
La valeur initiale de l’entreprise après recapitalisation (5,7milliards), se distingue de sa valorisation économique
(9milliards) laquelle correspond à un potentiel estimé à l’aune du plan Ambition 2015.
Modalités de la souscription
Après validation par le conseil d’administration et l’assemblée générale des actionnaires, un échéancier sera mis en
œuvre: les 2,7 milliards seront «libérés» en trois tranches, échelonnées et réparties ainsi :
•Avril-Mai 2011: Versement de 1,05 milliard. Soit 466,667
millions par l’État et 583,333 millions par la CDC.
•1er mars 2012-30 avril 2012: versement identique.
•1er mars 2013-30 avril 2013: versement de 600 millions.
Soit 266,667 par l’État et 333,33 millions par la CDC.
Clauses particulières
Deux cas de figure sont envisagés :
•Si les objectifs d’Ambition 2015 sont atteints ou
dépassés, la valeur de La Poste serait rehaussée. Afin de conserver, dans ce cas de figure, sa quote-part de capital, la CDC s’est engagée à verser un « complément » à l’État. Une première
tranche de 338 millions correspondrait à la réalisation d’Ambition 2015; une seconde tranche dite de « compensation», se déclencherait en cas de dépassement de l’objectif. Elle serait plafonnée à
700 millions (chiffres révélés par Mme Lagarde cet automne)
•En revanche, si la valeur de La Poste venait à baisser,
en raison de résultats décevants ou de dépréciations, l’État s’engage à «dédommager » la CDC en lui rétrocédant une part de ses 73,68 % de capital…
Si l’on comprend bien, La Poste n’engrangerait pas de prime pour fruit de ses efforts et, le cas échéant, endosserait un surcroît
de tutelle pour sanction de ses déboires... Ce système de bonus-malus ne doit pas, non plus, faire oublier que les actionnaires aspirent à un rendement conséquent : jusqu’à 25 % du résultat pour
l’État ; et 8 % à 14 % d’investissement pour la CDC. Sans doute nous répondra-t-on qu’il est honorable, pour La Poste, de faire fructifier l’argent public…
Actionnariat du personnel
La loi du 9 février 2010 et les statuts de La Poste rendent possible la souscription d’actions par le personnel, à condition que
ces parts demeurent minoritaires… Il sera, dès le mois d’avril, demandé à l’assemblée générale de déléguer sa compétence au CA afin qu’il puisse augmenter le capital de La Poste, à hauteur de 2
%, en émettant des actions réservées aux adhérents d’un plan d’épargne entreprise. L’article 13 de la loi précise que certaines de ces actions peuvent être gratuites. La mise en œuvre, compte
tenu de sa complexité, demandera un certains temps.
Calendrier :
•10 février 2011: Le CA autorise le président de La Poste
à signer le contrat de souscription entre la République Française, la CDC et La Poste.
•6 avril 2011: L’assemblée générale des actionnaires
autorise l’augmentation du capital.
•8 avril 2011: L’assemblée générale des actionnaires, une
fois la 1re souscription d’actions effectuée, valide une liste de 12 administrateurs dont 3 représenteront la CDC et 9 l’État. Rien ne change pour les 7 représentants des salariés, élus le 16
novembre 2010.
•courant avril : Un CA est convoqué pour élire le
président de La Poste. Les commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat devront valider cette élection, officialisée ensuite par un décret pris en Conseil des ministres.
NB: Ayant été informée du «protocole
d’investissement » des actionnaires, la Commission européenne n’a pas formulé d’objections, sans pour autant délivrer d’autorisation expresse. Rien n’empêche, donc, un tiers d’engager un recours
contre cette opération. En outre, des institutions, telle l’AMF (Autorité des Marchés Financiers), doivent encore donner leur feu vert, ainsi que les autorités de contrôle de certains
pays européens. Il s’agit de la Roumanie, du Portugal et de Chypre, dont on connaît par ailleurs la compétence et la rigueur.
Pour conclure: les coulisses obscurcissent la scène…
Les modalités d’augmentation du capital de La Poste sont désormais connues. Il n’en va pas de même pour le «pacte
d’actionnaires», accord confidentiel permettant aux intéressés de « fixer entre eux certaines règles du jeu non incluses dans les statuts ».D’aucuns qualifient d’occulte ce type de transaction.
En effet la légalité du procédé n’est pas une caution de transparence. Cela signifie que des éléments clés nous manquent pour apprécier la teneur et la valeur de l’engagement réciproque de l’État
et de la CDC. Si d’aucuns peuvent s’accommoder d’une telle opacité eu égard à des intérêts privés, comment l’admettre quand le bien public est en jeu?
Cette opacité doit être dissipée, d’autant que les responsables de la CDC nous ont déjà, par leurs déclarations, donné des
pistes… En bref :
• La CDC aurait obtenu un «droit de regard
sur les décisions essentielles de la société» (M. de Romanet, les Échos, 15 septembre 2010). Autrement dit, les trois administrateurs de la CDC disposeront d’un droit de véto sur l’État,
majoritaire et seul garant des missions de service public ! François Bloch-Lainé disait pourtant : « la CDC peut tout faire, sauf ce qui déplait à l’État ». Est-ce encore de saison? Fausses
querelles, objecteront certains, dans la mesure où tous les capitaux sont publics ainsi que les organismes concernés. Sauf que l’État ne se réduit pas à la définition de personne morale de droit
public, celle-ci fut-elle, comme la CDC, née en 1816 sous la Restauration et bénéficiant du statut «d’établissement spécial ».
L’État doit-il s’amputer d’une prérogative cruciale, doit-il s’autolimiter dans son rôle essentiel? Nous sortons alors du droit
pour entrer dans la philosophie politique. Au-delà de cette considération, si la CDC et l’État coïncidaient en tout, M. de Romanet pourrait-il affirmer «Nous (la CDC) devons être riches et
prospères, et cela crée un décalage avec l’État qui est pauvre et en difficulté» (Audition du 6 juillet 2010 – Commission des finances du Sénat).
• En invoquant «la rentabilité de son
investissement», la CDC ne s’attache pas seulement aux choix stratégiques de La Poste. Elle songe aussi à la productivité. Ce terme n’est pas un gros mot. Le tout est d’en fixer les bornes. Or
chacun aura retenu l’invitation à se montrer «d’autant plus rigoureux sur la valeur de certains engagements en matière sociale» (M. de Romanet). Comment les postières et les postiers ne
frémiraient-ils pas en découvrant pareille déclaration?
• Le surcoût des missions de service public,
que les compensations de l’État ne comblent pas, inquiètent la CDC. Celle-ci cherche, au sens propre, à s’assurer : «des mécanismes de protection pour la CDC sont prévus si ces compensations se
réduisaient dans le futur » (M. de Romanet - Libération du 9 novembre 2010). Or n’est-il pas dans le rôle de la CDC de soutenir les missions d’intérêt général? Les activités de La Poste sont
diverses mais forment un tout : on ne peut dissocier le service public du reste, s’investir uniquement dans les domaines les plus lucratifs.
La Poste est un bloc. Quand on s’y engage, c’est partout, dans tous ses métiers. Avec La Banque Postale qu’elle considère comme
«une quasi - filiale», la CDC constituera de facto un pôle financier public. Il faut donner un sens à ce pôle, à travers une contribution résolue aux missions de service public. Et ne surtout pas
donner l’impression de se défausser.
• À plusieurs reprises, la CDC s’est montrée
désireuse de participer aux organes de gouvernance: vœu naturel d’un actionnaire par ailleurs titulaire d’un droit de véto. Mais de quels organes s’agit-il et jusqu’où s’étendrait cette
participation? La présence directe dans les filiales, un moment évoquée, a semble-t-il été écartée. Gageons que les prochains mois seront éclairants à cet égard.
Plutôt que d’attendre l’enseignement des faits, nous attendons des représentants de la CDC qu’ils précisent leurs
intentions devant le Conseil d’administration. Nous n’ignorons pas que la transparence est une notion à intensité variable. Toutefois, les citoyens et les salariés de La Poste sont en droit de
connaître l’essentiel de ce qui lie les coactionnaires.