Des vélos électriques distribués au compte-gouttes
Tout n'est pas réglé pour autant. Certains métiers sont toujours plus exposés que d'autres. C'est le cas notamment des facteurs.
"Je travaille quelles que soient les conditions météo, six jours sur sept, jusqu'à parfois sept semaines d'affilée. Mon vélo est chargé en moyenne de 70-75 kilos de courrier et ma tournée atteint
les 20 kilomètres. C'est très physique, vous savez", commente ce facteur de la région lyonnaise. "Si l'on tient compte des manipulations durant le tri et de la distribution du courrier, ce sont 2
tonnes de lettres et de paquets qui sont soulevées au cours de chaque tournée, constate le Pr Jean-Paul Kaufmant, désormais directeur du service de médecine préventive et de promotion de la santé
à l'université de Picardie. Certes, La Poste investit dans du matériel, mais les vélos électriques restent insuffisants, et ils sont distribués au compte-gouttes, sans parler du problème
d'autonomie des batteries, déchargées avant la fin de la tournée." D'ailleurs, les médecins de prévention de La Poste viennent d'interpeller formellement la direction sur ce manque de matériel,
devenu majeur à leurs yeux.
Il ne faut pas croire pour autant que ces médecins s'enferment dans la contestation permanente. Ils savent reconnaître les
initiatives constructives. Ce fut le cas par exemple en 2005, quand la direction du groupe a associé les médecins de prévention, ainsi que des ergonomes, à la conception de ses "bureaux du
futur". Nouveau design, nouveau concept, et généralisation du travail debout pour les guichetiers. 1 500 de ces bureaux sont déjà ouverts au public, et les premiers retours sont encourageants.
Plutôt que d'être collés à leurs guichets, les postiers se déplacent librement dans l'espace. L'accueil est donc plus personnalisé, la relation avec le client, moins conventionnelle. Résultat :
moins d'agressions verbales, donc moins de stress. "C'est une réelle avancée", conclut cette postière.
Cela ne suffit pas toutefois à remédier à l'absence de repères, aux tensions, aux inquiétudes, qui s'expriment dans une
entreprise en perpétuelle restructuration. Surtout quand les salariés ne savent pas à quelle sauce ils vont être mangés et quand le management n'assume pas toujours les réorganisations. "Il n'est
pas rare, en cas de suppressions d'emplois, de refaire postuler les salariés sur leur propre poste de travail, en leur faisant passer des oraux comme à des débutants. C'est l'humiliation suprême,
fulmine Jacques Dumans, secrétaire général de FO Communication. Sans parler de certaines unités opérationnelles, où 15 % des cadres n'ont pas d'affectation réelle ou sont en recherche de
reclassement. Bref, placardisés."
Les ressources humaines n'ont pas échappé au dégraissage
Il faut donc apporter des repères aux salariés, les accompagner dans le changement, les aider s'ils sont en position de
fragilité. Les ressources humaines devraient être aux avant-postes, mais cette fonction n'a pas échappé au dégraissage global, connaissant plusieurs vagues de restructurations au cours de ces
dernières années. La plus récente date de juillet 2011, avec la mise en place, pour chaque métier (courrier, enseigne, colis, banque postale), de grandes plates-formes de RH et de gestion de la
paie, les centres de services ressources humaines (CSRH). Ils remplacent les centres interdépendants de gestion administrative et de paie, des structures elles-mêmes modifiées à plusieurs
reprises, entraînant à chaque fois des mouvements de personnel, des changements de management, des transferts de dossiers...
"Avec ces CSRH, La Poste reprend les mêmes recettes que France Télécom. C'est la fin de la réglementation RH commune à l'ensemble
du groupe. Chaque métier dictera ses propres règles. ça a déjà commencé. Cela va nuire à la cohésion sociale", explique Maryline Daunis, coordinatrice nationale FO Communication. "Ajoutons la
disparition d'agents RH locaux bien formés, qui, basés au sein des établissements de tri et de distribution, des grands bureaux de poste, ou dans chaque service transversal, tissaient des liens
précieux avec les postiers pour mieux les conseiller et traiter leurs demandes. Ils servaient de ciment social", poursuit Florence Dérouard, administratrice SUD-PTT au Groupe La Poste. Résultat :
"Les salariés devront passer par leur chef de service ou par leur responsable d'établissement, qui transmettra la demande au CSRH. Le lien est coupé. La Poste se déshumanise", conclut Philippe
Biard, gestionnaire RH dans un CSRH courrier. Une analyse bien sûr contestée par Alain Raguenaud, directeur du projet CSRH (lire ci-contre).
Loin de tels débats, pragmatiques ou résignés, certains postiers ont déjà recours au système D. Comme le souligne ce cadre
trentenaire : "Pour moi, les gens des RH sont devenus des spectateurs et ne sont plus acteurs. Si je veux évoluer au sein de ce groupe, je dois me débrouiller tout seul, pratiquer le
bouche-à-oreille." Encore faut-il avoir le bon réseau, et, surtout, ne pas être en situation de fragilité.
Par Marc Michaux - publié le 24/11/2011
Source: http://lexpansion.lexpress.fr/entreprise/